vendredi 21 novembre 2008

banalisation de l’argent mal acquis

Lentement mais sûrement, le pays marche depuis de longues années vers un état d’amoralité en matière d’affaires. Il y est déjà : il n’y a plus de scrupules quant aux moyens de gagner de l’argent. Non, il ne s’agit pas d’une simple recrudescence de la délinquance économique, ce fléau qui touche toutes les sociétés dans une mesure qui varie en fonction des capacités publiques de répression des fraudes et de la place de la probité dans la culture locale ; il s’agit d’un processus de banalisation générale de la tricherie professionnelle.Des catégories de plus en plus nombreuses et denses vivent — ou plutôt s’enrichissent — de pratiques malhonnêtes sans même penser devoir s’en cacher. Dans un étonnant consensus, la société s’est progressivement mue en système de réseaux mafieux banalisés dont les membres se côtoient, échangent et… se respectent. Il n’y a pas que la corruption classique — aujourd’hui démocratisée et étendue aux sous-pouvoirs — qui est délestée de sa charge déshonorante. Tromper le fisc, la Sécurité sociale ou s’adonner à des activités frauduleuses ou informelles ne font plus partie des métiers honteux.Il était impensable, il y a vingt ans, de voir des jeunes courir d’un véhicule à l’autre, sur leur “territoire de stationnement”, et tendre la main à l’automobiliste, même s’ils croient justifier leur geste par quelques mots de guidage.Des personnes, dans la force de l’âge, ont adopté le métier de mendiant, en préférence à un emploi qu’elles ont quitté, sans aucun embarras moral, parce que moins rémunérateur.C’est drôle comme le crime contre le commerçant n’est même plus qualifié : qu’on lui serve de la pourriture en guise de légumes ou des tord-boyaux en guise de repas n’indigne même plus le client lui-même. “Se faire avoir” fait partie de la règle du jeu, croit-il. Il ne voit alors rien d’illicite à ce qu’on lui présente un article et qu’on lui fourgue un article différent, en calibre ou en qualité, dans son couffin. Il arrive que le boucher couvre les néons de son présentoir de plastique rouge pour que la viande garde la couleur pourpre de la chair fraîche !Cela ne nous offusque même plus de lire que des citoyens en nombre aient été intoxiqués par un pâtissier négligent. Et quand un immeuble s’effondra récemment, tuant un de ses occupants, nous avons commencé par nous émouvoir de la négligence d’un État qui laisse ses bâtiments dans un état de dangereux abandon. Mais l’émotion semble s’estomper depuis que nous savons que le logement fatal appartient à un privé et que l’affaire renvoie à nos douteuses pratiques commerciales immobilières.Si prompts à dénoncer les négligences des autorités, nous sommes d’une étonnante compréhension quand il s’agit de descendre dans un hôtel miteux, de manger dans une gargote insalubre, de prendre un car ou un taxi graisseux et cahoteux. Nous comprenons ceux qui gagnent de l’argent sur notre dos, au risque de notre santé et de notre vie parfois, parce que, au fond, nous sommes sûrement un peu comme eux. Tous un peu pareils, dans cette véritable économie de l’argent mal acquis : ce qui compte, c’est de gagner des sous. Qu’importe comment !

http://www.liberte-algerie.com/edit.php?id=103679

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